Un insurgé, un journaliste, un militaire et Louis Napoléon

“The best indicator of a successful coup coming is a recent failed coup where the coup plotters get to diagram the weaknesses in the current regime.”

Jamie Raskin (January 6 committy)

Le cadre national

Louis-Napoléon Bonaparte

Comme son oncle, Louis Napoléon n’a pas commis un seul coup d’état. Ses  premières tentatives de coup d’Etat, eurent lieu à Strasbourg, en 1836 et à Boulogne-sur-Mer, en 1840. Ils échouèrent. Condamné, il s’évade. Après la révolution de 1848, pourtant élu représentant du peuple puis président de la République pour 4 ans, la constitution l’empêche de se présenter une nouvelle fois. Il voulait ardemment conserver le pouvoir et pour ce faire il fait changer la loi et le mandat passe de 4 ans à 10 ans. Il fait donc son troisième coup d’Etat le 2 décembre 1851 pour rester au pouvoir pendant au moins dix ans. Mais cela ne lui suffit pourtant pas du tout parce que régner à vie lui semble encore mieux. Un an plus tard, il restaure l’Empire et devient Empereur des Français.

Louis Napoléon Bonaparte à sa première tentative de Coup d’Etat en 1836 à Strasbourg   

Petit retour en arrière

La Drôme avait soutenu avec enthousiasme la Révolution de 1789. Un fort sentiment démocratique était né cependant les drômois se rendirent compte que, lorsque la Monarchie de juillet fut installée, elle était loin d’être un modèle de démocratie.

Pendant l’été 1848, les « républicains de gauche » gagnèrent les élections et formèrent des équipes municipales dans de nombreux villes et villages.

À l’élection présidentielle du 10 décembre 1848, la Drôme ne fit pas exception à la règle nationale car, comme le reste de la France, elle vota en masse pour Louis Napoléon Bonaparte lui offrant 76% des voix.

Dans toute la Drôme ? Non ! Car quelques cantons peuplés d’irréductibles démocrates  résistaient encore et toujours à l’imposteur. Dans le canton de Bourdeaux, il ne recueillit que 27 % des voix. Aux élections départementales du 1er mai 1849, les candidats « rouges » obtinrent la majorité absolue des voix.

Globalement, trois grandes tendances se dessinaient : Les Blancs ne désiraient aucun changement, ils se couvraient de l’autorité de la religion. Ils agitaient la peur de ceux qui possédaient un tant soit peu et ceux qui se souvenaient de la Terreur de la première Révolution. Les Bleus voulaient une république démocratique, mais se refusaient à envisager une république sociale. Les Rouges voulaient une république démocratique et sociale. Leur programme, très concret, visait à faire sortir la petite propriété paysanne et artisanale des griffes de l’usurier, par l’instauration d’un crédit agricole ; ils  envisageaient des mesures assurant le droit à la santé et à une vieillesse protégée pour tous, cela représentait une avancée considérable à une époque où n’existaient ni sécurité sociale ni  retraites ; les Rouges demandaient une éducation nationale laïque, gratuite et obligatoire.

L’état de siège

La décision du Président Louis Napoléon Bonaparte, en avril 1849 de refuser de reconnaitre la nouvelle République Italienne de Garibaldi mais de soutenir le Pape fut accueillie par de vives protestations. Si vives que l’état de siège fut déclaré : la possession d’armes, de munition et de journaux socialistes étaient interdits. Interdiction également de chanter, de prononcer des discours, d’organiser des réunions bruyantes sur les places et dans les rues. Une attention particulière se porta sur les instituteurs soupçonnés d’être des « agents actifs du socialisme ».

Décente dans les ateliers de la liberté de la presse, Grandville

L’état de siège avait profondément irrité ces populations fières et peu endurantes. Les saisies, les procès, les poursuites, les condamnations, avaient rempli le pays de contumaces. Loin de fuir à l’étranger, ils restaient cachés dans le pays, attendant 1852. Les montagnes, les forêts, et par-dessus tout, la complicité d’une population entière leur rendaient la chose facile. Ils trouvaient partout asile dans les domaines comme dans les chaumières.
Page 189 de « La Province en décembre 1851 », de Eugène Ténot (Paris 1869) 13e édition, parlant de la Drôme

[1]

Dans la Drôme, malgré l’état de siège, 8 000 personnes et plus de 90 municipalités participèrent activement à des actions illégales. La répression des autorités ne fut pas tendre. La mèche qui fit exploser la poudrière, fut le Coup d’État de Louis Napoléon Bonaparte du 2 décembre 1851. La Deuxième République n’avait duré que quatre ans. Il fit arrêter les députés royalistes, légitimistes ou orléanistes faisant croire qu’il sauvait la République.

En province, de véritables armées populaires se levèrent, dans la Drome et l’Ardèche en particulier.

Le peuple s’était bien vite rendu compte que cette république n’était pas la « sociale » qu’il avait espérée car en trois ans, les libertés s’étaient réduites et la misère s’était accrue. Les Drômois se soulevèrent alors contre Louis Napoléon Bonaparte, leurs armes étaient des fusils, des fourches et des faux. Les 6 et 7 décembre 1851, des milliers de Drômois se mirent en marche. Ces troupes d’insurgés se heurtèrent violemment aux troupes de l’armée.

Plébiscite national des 20 et 21 décembre 1851.

            Objet : « Le peuple français veut le maintien de l’autorité de Louis-Napoléon Bonaparte, et lui délègue les pouvoirs nécessaires pour établir une constitution sur les bases proposées dans sa proclamation du 2 décembre 1851. »  

électeurs10 000 000
votants8 165 63081,65
nuls37 1070,37
exprimés8 128 52381,28100%
oui7 481 23174,8192,03
non647 2926,477,96
Sources : Il s’agit des chiffres rectifiés le 14 janvier 1852 et publiés au Moniteur universel

Ces élections étaient manipulées à la sauce dictatoriale comme le permettait la loi du 31 mai 1850 car cette dernière réduisait le nombre d’électeurs en introduisant de nouvelles conditions au droit de vote.

En 1848, le droit de vote avait été accordé à tous les hommes mais la nouvelle loi rejetait plus du tiers des électeurs précédemment admis.

Examinons la teneur de cette nouvelle loi.

L’article 2 stipulait que la liste des électeurs de chaque commune était composée de « tous les Français âgés de vingt et un ans accomplis, jouissant de leurs droits civils et politiques, actuellement domiciliés dans la commune et qui ont leur domicile dans la commune ou dans le canton depuis trois ans au moins ».

La loi précédente ne demandait que 6 mois de résidence. Cette nouvelle condition excluait un grand nombre d’artisans et d’ouvriers de l’industrie ou de la terre sans oublier les compagnons qui réalisaient leur tour de France. Ces groupes de la population étaient précisément ceux qui échappaient à l’influence et au contrôle des curés et des notables, piliers locaux de la droite conservatrice. Les travailleurs itinérants avaient des durées de séjour trop courtes pour avoir la possibilité d’être inscrit sur la liste des personnes imposables des communes où ils passaient. Or c’était la preuve indispensable pour avoir le droit de voter. Ces travailleurs pauvres considérés par les bourgeois comme faisant partie des « classes dangereuses », devinrent des citoyens passifs.

Les dispositions de l’article 9 de la loi étendaient encore plus loin les exclusions au droit de vote.

Elles prolongeaient la répression en nommant explicitement : « les condamnés à plus d’un mois d’emprisonnement pour rébellion, outrages et violences envers les dépositaires de l’autorité ou de la force publique […] pour délits prévus par la loi sur les attroupements et la loi sur les clubs, et pour infractions à la loi sur le colportage, ainsi que les militaires envoyés par punition dans les compagnies de discipline » donc tous ceux qui avaient manifesté d’une manière ou d’une autre contre le coup d’État du 2 décembre de Louis Napoléon Bonaparte.

Dans la Drôme la situation était celle rapidement décrite dans l’encadré ci-dessus concernant la répression de l’état de siège.

Telle était la cause du mécontentement d’une partie de la population.

La nuit du 2 décembre Louis Napoléon donne ses instructions, devant le buste de son oncle. On voit ici aussi Moquard, son secrétaire qui tient la liste avec des personnes à arrêter, le général Saint- Arnaud qui porte les ordres. Gravure d’E. Leguay 1853

Alvier et Gandy

Il existe de nombreux livres et articles qui traitent des évènements de 1851. Nous n’avons pas l’intention d’ajouter notre petite pierre à cette montagne.

Cet article se borne à deux personnes : l’une est un des meneurs de la marche sur Crest qui s’appelait Etienne Nicolas Antoine Alvier et l’autre est Georges Gandy, un journaliste  de «  Le Courrier de la Drôme et l’Ardèche » dans lequel il était chargé  -entre autre-  de couvrir le procès contre Alvier. Le choix de ces deux personnages permettra de brosser l’ambiance de cette époque troublée qui marqua la vie des Drômois d’alors.

Alvier est né à Die le 14 décembre 1797 et marié avec Marie Paulina Célina Brun de Saou. Le couple a 2 filles : Marie Zoé Florentine (1836) et Marie Célina Octavie Emma (1838)  Il était notaire à Saou de 1824 jusqu’à 1837. En 1851, il habite à Saou dans la « rue de l’Homme ».

Le journaliste, Georges Gandy est né en 1809 à Lyon et en 1851, il s’est marié avec Marie Feyat. Il décèdera à Nantes le 27-12-1894.

Il publie parfois sous le pseudonyme de « Salut Public », le nom d’un autre journal dans lequel il est rédacteur. En 1860, il est rédacteur de « L’Echo de la Frontière [2] » à Valenciennes.

Vous verrez que dans ses articles fleuris et mielleux, il manipule habillement les faits réels et glisse insidieusement sa propre opinion.  Ce faisant il pourrait être un exemple de porte-parole apprécié du gouvernement.

La voix de son maître

 Les journaux d’opposition  étant défendu de publication en 1849, la propagande des journaux qui ont encore le droit de paraître n’est pas contredite. Les articles contre le coup d’Etat sont donc assez rares. Bien sûr il y avait des pamphlets. Mais ils ne témoignent pas toujours d’un très bon gout et apporte de l’eau au moulin du pouvoir en place. 

Le Courrier de la Drôme et l’Ardèche du 18 mai 1852 page 2

Pamphlet placardé la nuit du 1e au 2 du mois de mai 1852, bien après la marche sur Crest. Exemple d’un texte si violent que c’est du pain béni pour ceux qui veulent faire peur et exploiter la peur des braves gens ! 

Alvier arrive à Crest

Vers le 15 janvier 1852, Alvier fut arrêté et transporté à Crest. Dans la presse locale on lit notre premier exemple de la prose de G. Gandy. Le voici :

Crest, 16 janvier Hier, vers les deux heures après-midi, on remarquait dans notre ville une affluence féminine qui n’était pas ordinaire. Vers trois heures, il y avait environ mille curieux, divisés et échelonnés depuis le pont jusqu’au dernier passage de la tour ; la cause de ce concours, du reste, fort paisible, c’était l’arrivée d’Alvier, de Saou, commandant en chef des insurgés, lors de nos tragiques événements. Chacun voulait voir cet homme qui publiait des arrêts de mort et promettait le pillage de Crest. Etant malade il a été amené dans un véhicule, accompagné de sa dame et de sa nièce.  (… ) Avec lui on a amené trois autres prisonniers très-importants, Culti[3], Chastan[4] et un autre, accusé d’assassinat sur une veuve de 80 ans, à Piegros ; il a été nanti de trois mouchoirs et de plusieurs anneaux ayant appartenu à la victime. Cet homme nommé Allemand[5], avait déjà subi une détention de 18 mois pour vol d’argent au préjudice de la même personne. (…) Pour extrait : G Gandy
Le Courrier de la Drôme et l’Ardèche du 18 janvier 1852 page 3

Les mots « L’affluence féminine » fleurent la misogynie. Ces dames vont au spectacle, elles ont du temps à perdre pour voir arriver le bandit révolutionnaire. Les hommes, eux, sont oubliés. Pourtant, il devait bien y en avoir parmi les milles curieux.

En désignant dans ce texte nommément l’assassin-voleur, il est à craindre que ce journaliste  contribue à l’atmosphère qui existait dans toute la presse de l’époque. La présomption d’innocence était une notion inconnue semble- t-il.

Or …. Cet assassin-voleur nommé Allemand fut libéré plus tard par la commission mixte parce qu’il n’y avait pas de charges suffisantes.

Lettre et réaction de la rédaction

Le journal reçoit et publie aussi des lettres mais elles ne sont pas publiés intégralement. L’auteur de cette lettre essaie de nuancer les remarques qui circulent à propos d’Alvier et demande indirectement d’attendre le jugement avant de le déclarer coupable.

On nous écrit de Crest, le 21 janvier 1852 : « Monsieur de rédacteur, « Une personne sûre et respectable, qui a vu M. Alvier, de Saou, détenu politique, nous fait observer que, suivant lui, ce dernier n’est pas aussi compromis que le pensent le public de Saou et celui de Crest ; qu’Alvier n’est pas démagogue, qu’il était seulement irrité de n’avoir pas obtenu la place qu’il demandait. « Que s’il était à cheval le jour de l’émeute, c’est qu’il se fatiguait de marcher à pied, et qu’à Saou, comme en route, il avait empêché de faire beaucoup de mal. « Nous serions fâché d’aggraver la position d’un détenu, et nous sommes disposé, quant à nous, et quoi qu’il en soit de ces observations, à attendre l’arrêt de la justice ; (…)
Le Courrier de la Drôme et l’Ardèche du 23 janvier 1852 page 3

Avoir participé à la Marche sur Crest à cheval sera plus tard un des arguments pour  le considérer M. Alvier comme étant le meneur de la troupe.

Réaction

Quelques jours plus tard Georges Gandy répond au nom du journal :

Un parent de M. Alvier, détenu politique, nous écrit une lettre très vive contre la correspondance qui nous a transmis des renseignements sur ce prisonnier. Cette lettre du reste, nous nous plaisons à le dire, est à notre égard convenable et polie, mais elle contient au sujet de la personne qui nous a écrit des expressions telles, qu’il nous est impossible de la publier.
Le Courrier de la Drôme et L’Ardèche du 30 janvier 1852 page 3

On se demande vraiment ce que l’auteur de la lettre a pu écrire qui rende « impossible de la publier » Comme chacun le sait tronquer quelques phrases d’une lettre peut totalement en changer la teneur c’est d’ailleurs une manière de censurer pour discréditer et manipuler, stratagème commun sous tout régime autoritaire.

Nous ne demandons pas mieux, nous aussi, que de pouvoir constater par l’arrêt de la justice l’innocence de M. Alvier. Ce détenu et sa famille ont pleine confiance dans sa religieuse droiture ; ce sentiment est aussi le nôtre comme celui du public. Il doit assurer les amis et parents de M. Alvier. Dieu nous garde d’aggraver jamais avec connaissance de cause la position déjà si dure des prisonniers ! S’il est en nous un vif désir, c’est que la vérité soit connue promptement et complètement sur chacun d’eux, afin que l’innocence soit hautement justifiée et le crime puni. Ces mots doivent suffire pour rassurer la personne qui nous écrit. Rien ne prévaudra contre les investigations loyales et profondes de la justice. Le sort de M. Alvier, comme celui des autres qui partagent sa détention, est confié à des consciences éclairées et intègres : mais en l’Etat, qu’on veuille bien le comprendre, nous ne portons sur M. Alvier aucun jugement définitif ; nous ne voulons ni ne pouvons instruire son procès, et nous déclarons derechef que le Courrier de la Drôme n’a eu et n’aura jamais l’intention de  s’en mêler. Georges Gandy
Le Courrier de la Drôme et l’Ardèche du 30 janvier 1852 page 3

On ne peut que se réjouir de ce point de vue absolument irréprochable. Alors qu’il sait pertinemment comment on doit considérer le fonctionnement de la justice en tant que journaliste, nous verrons qu’il oublie ces principes quand ça l’arrange.

Le procès. Audience du 14 mai 1852

Le procès a lieu devant un Conseil de Guerre, sous la présidence de M. Lardelier, lieutenant-colonel du 71e de ligne et de M. Connet, lieutenant au 71e de ligne, substitut du commissaire du gouvernement. Gandy, qui a rédigé les articles, s’intéresse surtout aux informations à charge. Il ne nous rapporte aucun argument des avocats de la défense. La seule fois qu’il parle de la défense c’est lorsqu’il nous dévoile juste le nom de l’avocat à la fin des articles.

Les accusés sont Alvier, ex-notaire et propriétaire à Saou ; Marcel, ex-conseiller municipal et cultivateur à Saou et Darrier, ex-pharmacien à Dieulefit. Ce dernier contumax parce qu’il s’est enfui en Suisse.  Ils sont accusés d’être les chefs de bandes armées « ayant essayé de porter la dévastation et le pillage dans la ville de Crest ».

Le Courrier de la Drôme et l’Ardèche du 18 mai 1852 page 2

Pendant la première séance on apprend que la commune de Saou est divisée en 2 camps, les Bedouins et les Cliquins, ces derniers ayant perdu les élections municipales se sentent frustrés et

se sont jetés dans le parti démocratique, et de gens laborieux et honnêtes, ils sont devenus partisans effrénés des doctrines socialistes, pensant qui si leur parti triomphait un jour, alors ils se seraient tous placés à la tête de l’administration et imposeraient des lois à ceux qui paraissaient vouloir leur en dicter aujourd’hui. Singulière application du principe d’égalité et de fraternité.
Le Courrier de la Drôme et l’Ardèche du 18 mai 1852 page 2 et 3

L’auteur rapporte donc que l’esprit de vengeance transforme des braves gens en – horreur suprême – socialistes. Il ne semble pas savoir que tous ces problèmes ont commencé quand les règles des élections ont changé parce que le résultat ne convenait pas au gouvernement. Gandy, le journaliste accuse les Cliquins, le parti qui a perdu les élections municipales, de vouloir se servir du Coup d’Etat !!  sans se demander si au contraire ce n’était pas justement le Coup d’Etat qui était la cause de ce mouvement.

Le coup d’état du 2 décembre parut leur fournir l’occasion de reconquérir leur influence perdue. Ainsi, dès que la nouvelle de cet événement politique parvint dans la commune, tous les Cliquins prirent les armes, un rassemblement se forma à un quart d’heure du village. Le 6 décembre, les chefs se réunirent pour se concerter, des émissaires furent envoyés dans toutes les directions. Pendant la nuit, ils allumèrent de grands feux, les entourèrent, et se prirent à pousser le cri de Vive Ledru-Rollin ! et chantèrent des chansons anarchiques. Bientôt ils furent rejoints par des bandes armées de Bourdeaux, de Roussillon. La colonne de Bourdeaux était commandée par le sieur Cavet. (… )
Le Courrier de la Drôme et l’Ardèche du 18 mai 1852 page 2 et 3

Quand les insurgés arrivent à Crest, les soldats tirent quelques coups de canon et ces gens armés de fourches, de faux et de pétoires dérisoires s’enfuient dans toutes les directions au lieu de se faire tuer bêtement !!  Car il faut bien se rendre compte que ce n’est pas la question du nombre d’adversaires en jeu qui importe mais l’armement détenu par l’une et l’autre partie.

Tirer au canon sur la foule n’est pas très glorieux nous semble-t-il.

Arrivés sous les murs de Crest, les insurgés furent accueillis par le feu de la troupe ; quelques coups de canon furent tirés, et six mille bandits, aussi lâches que cruels, prirent la fuite devant une garnison de deux cents hommes de troupe. Ils se dispersèrent dans toutes les directions. (…..)
Le Courrier de la Drôme et l’Ardèche du 18 mai 1852 page 2 et 3

Audience du 15 mai

L’audience est ouverte à midi. Dix témoins à charge ont été entendus ; toutes leurs dépositions confirment pleinement les faits relatés dans l’acte d’accusation. Tous reconnaissent qu’Alvier a pris une part active au mouvement du 7 décembre. Ils l’ont vu à cheval en tête de la colonne ; il est vrai que le pharmacien Darrier paraissait exercer un commandement plus élevé que le sien. (…)
Le Courrier de la Drôme et l’Ardèche du 18 mai 1852 page 2 et 3

Plus loin le journaliste émet une considération personnelle :

Avant 1848, le pays était calme, mais bientôt des hommes ambitieux ou criblés de dettes se présentèrent ; il leur fallait des places, des honneurs, et pour les conquérir, des soldats de l’émeute : les paysans de la Drôme devaient servir à leur but.
Le Courrier de la Drôme et l’Ardèche du 18 mai 1852 page 2 et 3

« Avant 1848 le pays était calme » considère Gandy. Etait-ce vraiment le cas ?

Le 13 mars 1848, la population rurale de Saint-Agnan en Vercors affronta deux gardes-champêtres voulant les empêcher de conduire leurs bêtes paître dans les bois.

Le 14 mars, un rassemblement organisé pour procéder à un tirage au sort destiné à l’incorporation d’hommes dans l’armée, à la Chapelle, tourna en manifestation contre les gardes-champêtres et les collecteurs d’impôts.

Le 19 mars, lors d’un banquet à Die, 600 ouvriers crièrent en masse « À bas les rats ». Les autorités envoyèrent 125 soldats supplémentaires sur les lieux, plusieurs grandes villes participant à des actions illicites subirent des répressions.

Tous ces évènements eurent lieu en mars 1848, mais leurs racines s’enfoncent dans les années précédentes.

Est-ce que tous ces gens qui marchaient sur Crest trois ans plus tard étaient vraiment « ambitieux ou criblés de dettes » ou étaient-ils en colère parce que les autorités avaient changé la loi du 30 mai 1850 ce qui enlevait le droit de vote de beaucoup de travailleurs et menaient sur de nombreux terrains sociaux une politique très dure contre les opposants au régime.

Le mois de décembre arriva, l’heure parut favorable pour se ruer contre la société. Le mot d’ordre vient de Lyon et se répand bientôt dans toutes les campagnes de la Drôme. On prendra Crest, Valence, Lyon, et l’on marchera sur Paris. En avant seront les femmes. Incompréhensible aveuglement de l’orgueil ! Et comment ces hommes pouvaient-ils croire que 79 départements de France se laisseraient ramener à la barbarie par les populations égarées de ces rives du Rhône ?
Le Courrier de la Drôme et l’Ardèche du 18 mai 1852 page 2 et 3

Le journaliste change ici l’ordre des choses, ou autrement dit causes et effets. Les autorités ont changé la loi, ont fait un coup d’état ce qui pousse une part de la population à ne pas        l’accepter. « Incompréhensible aveuglement de l’orgueil » ! Oui, en effet mais du côté des autorités.

L’article continue. Voici  le texte agrémenté de quelques remarques :

Alvier se place à la tête des insurgés de Saou, et Darrier, de ceux de Dieulefit. Alvier fait une proclamation, il se pose en chef, et s’il prend ce titre, il faut qu’il soit sûr d’être reconnu comme tel. Il ne pouvait avoir cette certitude que par des précédents, que par des relations qui garantissaient ce droit ; il fallait qu’il appartint  à cette réunion d’hommes qui donneraient le pouvoir au jour déterminé ; il fallait qu’il fut membre des sociétés[6]. C’est l’enthousiasme qui le guide ! nous dit-on ; un enthousiasme qui a pour but la conquête d’une place. C’est l’enthousiasme qui lui fait concevoir et exécuter ce plan : Nous brûlerons Crest, nous irons à Valence, puis à Lyon. On appelle cela une manifestation ! Une manifestation de 8000 hommes dont 2000 hommes armés de fusils ; une manifestation qui tire sur la troupe, qui tue nos soldats! Ces mots sont impuissants à vous tromper. Quelque habiles que soient ces dénégations, nous prouveront- elles autre chose que ceci : Il y avait 800 personnes dont moitié gens égarés, 2000 bandits criant que la Constitution était violée et ne rêvant que vol, tuerie et pillage[7], et 5 ou 6 ambitieux se mettant à la tête de ces masses pour arriver, non pas à sauver la liberté[8], mais à s’assurer une place, une position, des honneurs. <….> Me Humblot a présenté la défense d’Alvier. La séance a été remise au lundi 17 à midi
Le Courrier de la Drôme et l’Ardèche du 18 mai 1852 page 2 et 3

Dans « Le Coup d’État » écrit en 1865 par Eugène Ténot on peut lire à la page 205 : « La troupe combattant à couvert, n’avait que très peu souffert. Quant aux insurgés, leurs pertes n’étaient pas aussi graves qu’on a cru. Ils n’avaient guère perdu d’hommes qu’à la première décharge à mitraille. En tout, moins de quarante tués ou blessés.

La Constitution était en effet violée par Louis Napoléon qui n’acceptait pas les résultats des élections et qui était depuis les années 30 déjà en train de préparer sa prise de pouvoir.

En janvier 1852, une nouvelle constitution donne le pouvoir pour dix ans au Prince-Président, mais cela ne lui suffit pas et encore la même année les 21 et 22 novembre 1852, le Prince-Président demande aux Français d’accepter le retour du régime impérial. Ne se trompe-t-on pas de personne quand on cherche celui qui cherche une position et des honneurs ?

Cessons l’analyse de ce texte parce la suite ne contient que la répétition de ce mélange des faits avérées et des convictions préétablies. Pour éviter que vous me reprochiez à mon tour de censurer ce texte, je vous invite à le lire sur Lectura plus.[9]

Dans le journal, vous chercherez en vain les arguments du défenseur, Me Humblot, l’avocat d’Alvier, en effet ils ne sont nulle part. Le journal ne rapporte que la partie à charge.

Le verdit fut publié le 19 mai 1852:

Voici le résultat de l’affaire qui se débattait devant le deuxième conseil de guerre, et dont nous avons parlé dans nos deux derniers numéros : Etienne-Nicolas Alvier, propriétaire à Saou (Drôme), est condamné à la déportation simple ; Jean Louis Marcel, propriétaire à Saou, à cinq ans de détention ; Hippolyte Darrier, pharmacien à Dieulefit (Drôme), contumace, à la déportation dans une enceinte fortifiée
Le Courrier de la Drôme et l’Ardèche du 19 mai 1852 page 2

Les juges militaires du Conseil de Guerre considéraient que l’insurrection après le Coup d’ Etat était plus grave que le Coup d’Etat lui-même. Bien que Louis Napoléon, le président qui avait juré fidélité à la Constitution issue du suffrage libre et universel de la France qui a menti à son serment. Comment jurer fidélité à quelqu’un qui ne tient pas son serment ? Une question que certains militaires se posèrent aussi. Le Colonel Charras écrit une lettre expliquant qu’il refuse maintenant de prêter son serment de fidélité.[10]

Le proscrit auquel la République a rendu une patrie et qui a détruit la République ; Le président qui a juré fidélité à la Constitution issue du suffrage libre et universel de la France, et qui a menti à son serment ; Le conspirateur qui a usurpé le pouvoir absolu par la fraude, la corruption et la violence ; Le despote qui a ruiné, banni, emprisonné, déporté, massacré des milliers de citoyens français, a fait une constitution et l’a imposée à la France. Où prétend-il en avoir puisé le droit ? — Dans le scrutin du 20 décembre, comme il prétend y avoir trouvé l’absolution de son parjure et de ses crimes. Ce vote n’a pu tromper personne : émis en l’absence de toute liberté, sous l’emprise de la terreur, contrôlée uniquement par des complices, il est frappé de nullité par la conscience publique. L’histoire lui réserve la première place parmi les plus audacieuses fourberies que jamais gouvernement ait osées, en aucun temps, en aucun pays. Membre du conseil général du département du Puy-de-Dôme, on me demande aujourd’hui de prêter serment de fidélité à Louis Bonaparte et à sa constitution. L’homme du 2 décembre, celui qui a donné l’exemple le plus cynique de la violation de la foi jurée, exiger des serments ! En vérité, un trait pareil manquait aux annales de ce temps. Je n’ai pas à rappeler ici les violences commises contre le représentant du peuple, la spoliation exercée contre l’officier de l’armée ; qu’est-ce que cela en face des malheurs de la patrie, de ses douleurs, des ruines accumulées par la terreur bonapartiste ? L’amour du pays et de la liberté, le sentiment de l’honneur national parlent seuls à mon cœur et dictent ma réponse. A un gouvernement sans nom, sans foi, sans honneur, sans probité, les hommes de cœur ne doivent que du mépris et de la haine. Je refuse le serment. Pour les Républicains, il n’est qu’un engagement à prendre, et celui-là je l’ai déjà pris, c’est de hâter de tous leurs efforts le moment où la France brisera le joug qui lui a été imposé, en un jour de surprise et de défaillance, par une poignée de bandits qui pillent le trésor public et déshonorent jusqu’au drapeau, jusqu’au nom de la patrie.   Lieutenant-colonel CHARRAS, Représentant du peuple. Bruxelles, le 28 mai 1852.  
[1] https://negrel.pagesperso-orange.fr/auteurs/schoelcher/annexes_1.htm
Jean-Baptiste-Adolphe Charras

Listes

Alvier est condamné à la déportation simple et son nom figure sur la liste des condamnés qui seront envoyé à Cayenne.

Il existe une autre liste avec le titre « Etats des condamnés à la transportation à Cayenne. » Elle n’est pas datée et le nom d’Alvier y figure. 

Cette liste doit avoir être composée entre le 19 mai 1852, date de la condamnation, et le 27 septembre 1852,  pour le séjour de Louis Napoléon à Valence.

Derrière son nom on peut bien lire « Saou » puis une croix  « 3 » et « il faudra le porter. »

Le chiffre 3 intrigue…. Est-ce un code ? Les autres prisonniers n’ont pas un tel code derrière leurs noms. Ils n’ont même pas de code du tout. Puis cette phrase : « il faudra le porter. ». Est-ce que cela signifie littéralement ce qui est écrit ?Avait-il vraiment des problèmes pour marcher, comme on a pu lire dans la lettre du  21 janvier 1852 citée plus haut ?

En septembre 1852 le président visite Valence.

….. «Au moment où S.A.I. arrivait à l’endroit où les militaires de l’empire étaient rangés en ordre de bataille, ces vieux et braves débris, électrisés par la présence de l’héritière de celui qui les avait si souvent conduits à la victoire, se sont précipités vers la voiture en poussant avec une sorte de frénésie le cri de : Vive l’empereur ! Le prince a serré la main à plusieurs de ces braves et les a remerciés avec émotion. ….. «  Le prince est enfin arrivé à l’hôtel de la préfecture, après avoir traversé toute la ville au milieu du même enthousiasme et des mêmes acclamations, et il a été procédé immédiatement à la réception des autorités et des corps constitués. « Au moment où S.A. entrait à la préfecture, une dame, accompagnée de ses deux filles, Mme Alvier, est tombée tout en larmes à ses genoux et lui a demandé la grâce de son mari, condamné politique ; le prince l’a relevée avec bonté et lui a promis, dit-on, la grâce demandée.
Gazette de Savoie du 27 septembre 1852 page 2

Quand Louis Napoléon rend une visite à Valence, Maria Brun, l’épouse d’Alvier se jette ensemble avec ses deux filles aux genoux du président et demande la grâce pour son mari. Le  prince président lui a promis, dit-on, la grâce demandée.

La femme d’Alvier fut sans doute très heureuse de savoir  que son mari ne sera pas envoyé à Cayenne, mais elle devra pourtant attendre jusqu’au 7 juin 1853[11] avant que la grâce soit effective et changé en surveillance perpétuelle.

On lit aussi que quand le président arrive la foule crie Vive l’empereur ! Il serait peut-être légitime de penser qu’on est en train de préparer le peuple pour l’empire qui ne sera installé que le 02 décembre 1852 suivant.

Le 21 juin 1853 le décret de la grâce paraît dans le journal :

Le Courrier de la Drôme et l’Ardèche du 21 juin 1853 page 2

Après sa grâce Alvier retourne à Saou où en 1856 et en 1861, il habite dans la Rue de l’Homme avec sa femme et sa fille, son gendre, leur autre fille  et un domestique.

  Réparation Le 30 juillet 1881 passe une loi qui donne le droit à une pension ou une rente viagère aux victimes du coup d’état du 2 décembre 1851, ou à leurs ayants droit. Alvier est décédé en 1866 mais Marie Brun, sa femme est encore en vie. Je n’ai pas pu trouver si elle a reçu réparation.  

[1] Page 189 de « La Province en décembre 1851 », de Eugène Ténot (Paris 1869) 13e édition, parlant de la Drôme.

[2] Le 6 janvier 1860  il écrit un article qui parait le 07. Cet article ne plait pas aux autorités. Il reçoit un « avertissement » du préfet sur indication du ministre d’intérieur.

[3] Ne figure pas sur des listes des poursuivis de décembre 1851

[4] Probablement Jean Joseph Chastan de Saou, il était un de ceux qui frappèrent le Maire de Francillon et l’un des meneurs les plus actifs de l’insurrection. (Insurrection de la Drôme. Commission supérieure du département. État général des individus sur lesquels il a été statué par la Commission, SHD, 7 J 70)

[5] Louis Allemand, cultivateur de Piegros, Décision de la commission mixte Drôme : Liberté. Motifs et observations dans l’État de la commission mixte : Pas de charges suffisantes.

[6] Comme on ne trouve rien à ce propos qui indiquerait cette allégation dans les documents de la condamnation il s’agit donc de l’opinion du journaliste et n’a donc rien à voir avec les faits réels.

[7]  Le journaliste saurait- ils lire dans les pensées et se mettre dans la tête des gens ?

[8] Il se trompe encore ici: Sauver le droit de vote est en quelque sorte sauver la liberté

[9] https://www.lectura.plus/

[10] https://negrel.pagesperso-orange.fr/auteurs/schoelcher/annexes_1.htm

[11] Décision de la commission mixte Drôme : Conseil de guerre 2e Conseil, 8e Division, 15 mai 1852 : condamné à la déportation, commué en bannissement le 6 octobre 1852 et le 8 juin 1853 en surveillance perpétuelle.