L’Héritage d’un “Mandiant”

Marc Antoine Rousset est né à Châteauneuf de Mazenc en 1661[1]. En 1702[2] , à Comps, il se marie avec Catherine Faquin. De son métier il est cardeur de chanvre. À la fin de sa vie il ne peut plus travailler et devient mendiant. Il mendie parfois loin de sa maison et ce faisant il arrive à Valréas où il décède le 12 août 1737, à l’âge d’environ 80 ans.  Ici dessous se trouve l’acte de décès qui se trouve dans les registres paroissiaux de Valréas.

Marc Antoine Rousset du lieu de Comps en Dauphiné âgé d’environ quatre vingts ans est mort le douze aôut mil sept cent trente sept après avoir receu les sacremens, enseveli au Cimetière. Merley secondne[3]

On ne sait pas pourquoi le clergé a attendu mais c’est plus d’un an plus tard, le 5 octobre 1738, que le  curé Aubert de Valréas envoie une petite lettre[4] à Comps pour prévenir Catherine Faquin, l’épouse de Rousset.

Marc antoine rousset du lieu de Comps en dauphiné agé d’environ quatre vingt ans, est mort le douze aoust mil sept cent trente sept, apres avoir recu les sacremens enseveli au cimetière. Merles (… ) ainsi signé Je soussigné curé paroissial (?) de cette ville de valreas au comtat venissin atteste avoir tiré Lextrait cy dessus du lieu de mort de cette paroisse a valreas le cinquieme aoust octobre mil sept cent trente huit..  Aubert Curé

Sur cette feuille quelqu’un a ajouté en bas de page « catherine rousset, vve Enfants, Louis, André, Antoine » Le couple a eu au moins 7 enfants dont il ne reste que trois à ce moment-là.

Catherine Faquin, qui a presque 20 ans de moins que son mari,  prend conseil auprès de Monsieur Morier, parce qu’elle a peur que les créanciers, que son mari a peut-être, viennent réclamer de l’argent et qu’elle soit obligée de les payer avec l’argent de sa dot. Il écrit pour elle une requête à Monsieur Dafflon, le juge de paix, « pour eviter quon ne luy puisse imputer[5] aucun faute et pour la conservation de ses droits doctaux[6] Gains Et avantages nuptiaux »

Signature de Morier

 Nous ne savons pas de quel monsieur Morier il s’agit. D’après nos données il n’y a pas de personnes avec ce patronyme à Comps à cette époque.

Le 8 novembre 1738 monsieur Dafflon, le juge écrit :

« Vu la requete nous avons comi[7] le premier nore Royal requis non suspect aux fins dicelle les creanciers a ce deuement[8] appelés a la forme de l’ordonnance fait le huitieme novembre mil sept cent trente huit pour proceder, Dafflon juge»

Il écrit dans son ordonnance que les créanciers doivent être mandés devant le notaire comme il convient.

Juge Dafflon est probablement Louis Dafflon, avocat «en la Senechausse » de Montélimar en 1718 et « Procureur du Roi en l’élection » en 1721. Il est le père de Joseph Dafflon, un des juges dans le procès contre Simon André Vernet dit Lafabrège, ancien curé refractaire de Montjabron (Dieulefit) en 1793.

 Signature de Dafflon

Le 9 novembre 1738 Catherine Faquin va voir « Jean françois Combe », notaire à Dieulefit. Elle est déjà  dans son étude à huit heures du matin. Elle dit que Marc Antoine Rousset, son mari, est décédée le 12 aout 1737 à Valréas en « compta venessin » en mendiant son pain et par consequent sans aucuns biens ny facultés »[9]. M. Combe demande s’il existe un testament mais constate qu’il est décédé « ab. interstat[10] ». Maintenant Catherine Faquin veut éviter « quon ne luy puisse imputer[11] aucune faute et pour la conservation de ses droits doctaux Gains Et avantages nuptiaux » Elle lui montre la lettre de Monsieur le Juge ordinaire avec le but « quil luy plait de commettre[12] le premier notaire royal requis non suspect[13] pour proceder a linvantaire de quelque maudique[14] Effet qui se trouvent dans la maison que ledit marc antoine rousset habitoit audit lieu de Comps », cequi lui est accordé par décret du juge Dafflon, du « huitieme du present mois de Novembre ».

L’inventaire doit établir quels effets font partie de  l’héritage de « son dit feu mary » et quels sont ceux protégés par les « protestations[15]» qu’elle fait et que « ledit Inventaire ne pourra luy prejudicier[16]a aucune façon a ses droits Doctaut[17] (…) »

Le notaire signe l’acte « et en consequence a accepté la commission portée par le susdit Decret ».

Mais pour informer les créanciers il faut annoncer qu’il y aura un inventaire dans la maison de feu Marc Antoine Rousset.

Jean Marcel, huissier à Dieulefit, est envoyer à Comps et déclare : «m’etre Expres acheminé au lieu de Comps  a la place publique dud lieu ou lon a compte me faire afficher (..) Jay a voix de crys publique (..) par affiche donné assignion[18] a tous les creanciers et autres pretendans droits sur lhereditte[19] dud feu marc antoine Rousset a comparair Jeudy (… )le  treizieme du courant (novembre) a dix heures du matin aud. lieu de Comps (..) au mas des Vernets(..) pardevant M. Jean François Combe nore Royal dud Dieulefit commissaire (..)» pour pouvoir faire l’inventaire des biens de Rousset (…) L’huissier fait ces annonces« aux presences de Jean André marcel praticien Et de Jean Pierre Nery travailleur tous deux habitants dud. Dieulefit tesmoins menés[20] Espres Et signé tous a ladite affiche.(…) »

(signé) Marcel, Marcel, J.P.Nery 

Signature de Jean Marcel, huissier

Signature  de Jean André Marcel, son fils

 

 Signature de Jean Pierre Nery probablement fils de Jean Nery et Marie Didier

Jean Marcel est l’époux de Louise Chalamel et il est accompagné par son fils Jean André Marcel qui est marié avec Esther Marguerite Jeanlaplace.

Monsieur Grimolle[21], commis, note sur cette feuille

« le 11 novembre 1738 Recu neuf sols six denier »

Le 13 novembre a dix heures du matin le notaire/commissaire va à Comps « dans la maison ou ledit marc antoine rousset habitoit ». Catherine Faquin est présente. « Les creanciers et pretendans (qui ont) droit sur lheritage de sondit feu mary » ont été invité pour venir à ce jour, lieu et heure pardevant le commissaire pour assister à l’inventaire. Ils ont été prévenu « par exploit et affiche faite par Marcel huissier sergent le dixieme du courrant  duement controllé audit Dieulefit le onzieme  par le sieur Grimolle commis ».  

Signature d’Hector Grimolle

 La veuve montre  Lorigat (l’original?) dud exploit au notaire.

Quand l’heure de l’assignation[22] est passée aucun des créanciers n’a comparu et elle demande de faire « Defaut Contreux » et elle demande « de proceder audit inventaire aux formes ordinaires sous les protestations[23] »

À ce moment-là le notaire/ commissaire rappelle brièvement les points essentiels à sieur Alexandre Jean Borel de la Combe (secrétaire) et sieur Pierre Theodore Morin et leur fait prêter serment. Il répète

 « que nous sommes dans la maison ou ledit marc antoine rousset a habitait que aujourd’huy Jeudy (…)treizieme novembre que lheure de dix du matin de ce jour meme celle de Midy sont expirées et quils nont vu ny ne voyent paraitre aucun desdit creanciers ny pretendants droit assigné ny personne de leur part c’est pourquoy nousdit commisre avons octroyé la Deffaut requis Contreux et pour le profit dyce luy avons Declaré Et ordonné ….sera par nous presantement procedé audit Inventaire aux formes ordinaires et nous sommes soussignés

(signé) Morin, Borel de la Combe, Combe »

Signature  d’Alexandre Jean Borel de la Combe, secrétaire[24]

 

Signature de Pierre Théodore Morin[25]

   

Pierre Théodore Morin

Puis ils commencent à faire un inventaire

Il n’y a pas de meubles de grande valeur. « …..qu’un mauvais amaie[26] a Petrir Bois de sapin aussi un Banc de nulle valleur, un …. an bois detre (?) tout rompu sur lequel …. ny qu’une mauvaise  Bassagne[27] et un mauvais luisant[28]? aussy de nulle valleur Et finalement deux …. ? ou sellettes[29]  avec quelque Pot de terre letout de Nulle (valleur) »

Le notaire est  aussi obligé de se renseigner sur feu « Marq » Antoine Rousset. Curé Martial, de Comps, et plusieurs autres notables, déclarent qu’il est « vray que ledit feu marq antoine Rousset fut un pauvre mandiant comme lad catherine faquin sa veuve  nous (…)ont surquoy nous a été déclaré par led  Curé et notable que led marq antoine rousset demandait l’haumone pendant quinze années avant son deces ce qui est cy vrai quil mandait Encore son pain en dernier lieu lorsquil est mort a Valreas suivant le certificat de sieur aubert curé de laditte ville ». Le notaire met ces déclarations  sur papier afin que Catherine Faquin puisse s’en servir s’il est nécessaire.

Elle jure aussi qu’il n’y a pas «dautres Effet qui apartiennent a l’hoirie de sondit feu mary » 

Le notaire fait parafé (?) audit lieu de Comps dans laditte maison ou ledit marq antoine rousset habitait le susdit jour treize du mois de novembre mil sept cent Trente huit » mais « Laditte catherine faquin veuve a declaré ne scavoir »  et « les Effet en dessus Inventoriés ne sedent pas en valleur huit livres. »

(signé) Morin, (Borel) Delacombe, Combe

Signature de Jean François Combe[30], notaire et commissaire

Monsieur Grimolle, commis, note sur cette feuille: « le 23 novembre 1738  Recu trois livres dixhuit sols »et le 11 novembre 1738 elle a déjà payé 9 sols et 6 deniers. Un total de 4 livres 7 sols et 6 deniers.

Le notaire a déclaré que la valeur de l’héritage de Marc Antoine Rousset « ne sedent pas en valleur huit livres.» De ce montant Catherine Faquin doit payer 4 livres, 7 sols et 6 deniers au notaire, huissier etc. De ces 8 livres il reste 3 livres 12 sols et 6 deniers. Les frais de notaire ont coûté plus que la moitié de l’héritage.

Mais cependant …… la veuve est assurée qu’aucun créancier ne touchera à sa dot.

Les unités de compte à cette époque étaient la livre, le sou et le denier. La livre française vaut 20 sous ou 240 deniers.

LivreSouDenier
Livre (£)120240
Sou (S)1/ 20112
Denier (d)1/ 2401/ 121

Au début du siècle, les ouvriers de campagne gagnent de 7 à 8 sols par jour (selon Le Détail de la France de Boisguillebert), le double en période de récolte.

L’héritage a une valeur d’environ 10 jours de travail d’un ouvrier. Les femmes gagnaient en général la moitié d’un salaire d’un homme.


[1] RP La Bégude de Mazenc (1625-1674) page 121

[2] RP Comps (1692-1713) page 65

[3] Valréas, sépultures (1734-1739) page 36

[4] 2 E 4931 page 47

[5] accuser

[6] Relatif à la dot au bien apporté au mari par l’épouse ou par la famille de celle-ci (source CNRTL)

[7] désigné

[8] Selon ce qu’on doit

[9] biens

[10] sans testament

[11] accuser

[12] Nommer à une fonction, pour remplir une tache déterminée

[13] Qui éveille des soupçons de partialité

[14] insignifiant, modeste

[15] Déclaration et démarche tendant à défendre ses intérêts (source CNRTL)

[16] faire du tort

[17] Relatif à la dot au bien apporté au mari par l’épouse ou par la famille de celle-ci (source CNRTL)

[18] convoquer, lui fixer rendez-vous à une date déterminée

[19] héritage

[20] Faire aller quelqu’un quelque part, en l’y accompagnant (source CNRTL)

[21] Hector Grimolle, époux de Lucresse Noyer

[22] Acte d’huissier par lequel une personne est sommée de comparaître en justice

[23] Déclaration et démarche tendant à défendre ses intérêts (source CNRTL)

[24] Fils de Gaspard Ignace Borel la Combe et Françoise Merlet

[25] Fils de Jean Charles Morin et Magdelaine Filanchier

[26] pétrin (Dictionnaire Moyen Français)

[27] paillasse (Dictionnaire Moyen Français)

[28] lume (Dictionaries Moyen Français)

[29] petites chaises (Dictionnaire Moyen Français)

[30] fils de Jacques Combe et Catherine Moralis